Hurra Torpedo, Seigneur des Mouches.

Kanako approche, avec la lenteur et surtout la douceur qui la caractérise. Elle voit la déchéance du rockeur, et son coeur se brise de le voir dans cet état. Elle s'arrête quelques instants à le regarder, silencieuse, sans expression. Quelqu'un qui ne la connaîtrait pas aurait l'impression qu'un jugement se produit alors, qu'elle décide à l'instant de la dignité d'un homme, s'il mérite ou non de vivre parmi les siens, s'il mérite même d'être un être humain. Mais il n'en est rien : c'est bien de la tristesse que ressent l'asiatique. De la tristesse, de la compassion, et même de l'amour. Non pas le sentiment exclusif et jaloux que l'on défendait autre fois, mais bien celui franc et partageur de qui aime son prochain.

Elle fait volte-face, et entre dans une bicoque. Elle y reste quelques instants, et en sort avec quelques linges, qu'elle va humidifier avec un peu d'eau sale. Ce n'est pas la propreté qui est recherchée. Elle s'agenouille ensuite vers l'épave de rockeur, et commence à le laver, par petits gestes, doucement. D'abord le visage. Le linge est humide, et appliqué avec délicatesse.

L'ancienne idol grimace franchement. Elle n'est pas habituée à un tel décorum. Elle manque de défaillir à l'intensité de l'odeur, mais se reprend.

Son monde parfait ne se construira pas en un jour. Et il va falloir surmonter des épreuves bien pires que celle-là. Elle prend son courage à deux mains, et lui dit alors de sa voix la plus douce.

"Hurra, c'est Kanako. Je suis là. Ne dis rien, c'est inutile, laisse-moi t'aider."

Après avoir nettoyé son visage, elle se décide à tenter de le porter, épaule contre épaule, vers les douches.

Aaron avait décidé que le gars Zack devait rejoindre leur équipe de cuisine. Dont acte. Pour aujourd'hui, ils n'attendaient plus que Kanako pour se répartir les tâches. Les trois hommes avaient déjà préparé le matos sur les tables des cuisines. Ils étaient seuls, Mami était en vadrouille et Yog avait emmené les siens pour faire les préparatifs de la récolte.

Qu'est ce qu'elle fout bordel... Elle est jamais en retard d'habitude.

Pas de réaction des deux autres, Zack prend ses marques et Vito... Bah c'est Vito quoi, c'est pas le mec le plus loquace du bled ça c'est sur. Hans décida de sorti chercher l'asiatique, elle ne devait pas être loin.

Commencez la préparation, je reviens tout de suite.

Le ton était péremptoire, ils payaient pour l'absence de la jeune femme. Hans ouvrit la porte et assista au spectacle, du moins en partie. Il secoua le tête lentement et s'approcha. C'était ça. C'était ça qu'il n'avait pas voulu devenir. Pas qu'il ait une grande estime de lui, mais quand même. Il y avait pour lui un point à ne pas dépasser. Hurra l'avait fait. Ou son point à lui était beaucoup plus loin. Peu importait, Il devait une vie au rocker, alors il allait devoir faire quelque chose, déjà pour l'instant présent, et peut être pour la suite. Il vit Kanako essayer de supporter le poids d'Hurra par elle même. Acte courageux et désintéressé s'il en est mais l'homme pesait son poids malgré l'état de décrépitude dans lequel il était. Hans fit les quelques pas qui le séparait du duo et s'empara de l'épaule libre du leader décadent. L'odeur n'était pas glorieuse, restait à savoir laquelle était la pire.

Laisse moi t'aider Miss...

Si tu veux mon avis ça va pas être évident de le ramener là...

De longues minutes qu’elle assistait à ce désolant spectacle.

La déchéance du Rockeur.

Appuyée contre un mur, les bras croisés sur sa poitrine, Selene observait Hurra. Rattrapé par ses vices. Nageant dans les drogues, coulant dans ses propres excréments.
Et elle restait immobile. Bloquée par la vision décadente de l’homme. Presque dégoûtée par tout ce qu’il laissait faire. Ses yeux éteints. Le vomi qu’il n’essuyait pas de son visage. Les mouvements qu’il ne pouvait plus faire. Il était bien loin de celui qui l’avait sauvée d’elle-même, il y avait tant de lunes maintenant…

Les entrailles qu’elle n’avait pas senties se tordre se rappelèrent à elle. Kanako venait de s’agenouiller devant Hurra, et l’aidait, elle. Ne supportant sans doute pas de le voir dans cet état. Selene continuait de contempler la scène. Il tombait… Il tombait, oublié par tous ceux qu’il avait aidés. Il tombait, et c’était le monde qui le négligeait, le monde qui ne l’attendait plus.
D’un mouvement brusque, l’Ecorcheuse se redressa. Entretemps, Hans s’était aussi approché. Selene posa un regard sans éclat sur les trois silhouettes. L’odeur l’incommodait, mais elle tenta d’en faire fi. Elle ne pouvait pas ignorer cette situation.
Bien que ce fut sans doute surprenant de la voir ici, elle s’adressa à Kanako et Hans.

- J’m’en occupe.

Le ton ne souffrait aucune réplique.
A elle de le soutenir. Elle était celle qui devait le faire. L’aider à se relever, à redevenir le rockeur qu’il était.

A elle de le sauver de lui-même.

L'arrivée de Hans est providentielle pour la petite asiatique, qui, malgré tout son courage, n'aurait pas eu la force de soutenir le rockeur. Le trainer, tout au plus, certes... Mais ça aurait été bien laborieux. C'est donc avec un faible sourire sincère qu'elle accueille l'aide du chef cuistot, et qu'elle hoche la tête à son attention.

"Merci Hans. Je l'amène aux douches. On pourra l'y laver plus facilement. Ce sera au moins ça..."

Chacun soulevant une épaule, les deux mitrons soutiennent le Boss tant bien que mal, Kanako constituant un boulet dans l'opération, mais un boulet qui met beaucoup de coeur à l'ouvrage.

C'est ce moment que choisit Selene pour intervenir.

"C'est gentil Selene, mais ce n'est pas à toi de faire cela. Ou du moins pas seule. C'est à nous de l'aider... Il a besoin de nous tous, et on a tous besoin de lui... Et est-ce vraiment à une guerrière de jouer à l'aide-soignante ?"

La remarque n'est pas acerbe, mais franche et prononcée de façon douce.

Serrant les dents autant à cause de la puanteur que suite à l'effort déployé par sa constitution de bimbo, Kanako continue alors, bientôt épuisée.

Hans s'apprêtait à répondre à sa collègue quand Sélène était intervenue, mystérieuse Sélène, depuis quand était elle là ? Il ne l'avait pas entendue arriver, elle n'avait pas l'air surprise. Peu importait, ça ne le concernait pas. La réaction de Kanako un peu plus, parce qu'a lui répondre comme ça, elle allait droit dans le mur, un bon gros mur qui fait mal. Hans raffermit sa prise sur Hurra avant de répondre à son tour, plus mesuré, détaché. Comme s'il était là par hasard, ce qui était le cas, mais rien ne le forçait à intervenir.

Dites, on fait pas notre B-A là... On va pas s'engueuler pour savoir qui va l'aider. On va déjà s'occuper du plus pressé... Et honnêtement une douche ne va pas suffire... Et ensuite on aura le temps d'aviser sur qui fait quelque chose pour lui et qui retourne à ses occupations.

Le jeune homme jeta un coup d'œil au camé et grimaça, le spectacle en odorama était loin d'être ragoûtant.

Pour l'instant j'crois pas qu'on soit de trop à trois... Sélène, si j'peux me permettre, remplace Kanako avant qu'elle ne s'éffondre s'il te plait.

Et pis on ferait mieux de se magner avant que tout le monde se pointe pour assister au spectacle.

- Jouer à l’aide-soignante ?

L’irritation. A la remarque, les muscles de Selene s’étaient instantanément raidis. Toute l’attitude de la prédatrice prête à bondir. Comme si elle n’avait plus attendu que ça pour frapper. Et les paroles de Hans, destinées à l’apaiser, n’y faisaient rien.
Tenir la louve en cage était dangereux. Et Kanako était à deux doigts d’en faire les frais. L’Ecorcheuse conservait en ses membres des lunes de frustration, que la courte attaque sur les Sénobytes n’avait pas suffit à libérer en totalité. Il y avait là l’enfermement, trop long, trop rude à supporter ; le ressentiment envers les habitants de Ramdam, qui leur témoignaient leur hostilité, insupportablement. L’impression d’un manque de reconnaissance.

Imperceptiblement, la main s’était tendue vers le poignard rangé dans la boots. Mais un nouveau rejet de Hurra éloigna un instant Selene de ses pensées négatives. Sans ménagement, elle bouscula la douce asiatique, prenant sa place pour supporter le rockeur.

- Je joue pas.

Elle allait lui dire que, aussi incroyable que ce fait puisse paraître, elle avait aussi quelques compétences en médecine. Que les Ecorcheurs, outre le fait d’être de puissants guerriers, savaient aussi faire d’autres choses. Qu’au niveau de la survie, ils n’avaient pas besoin de Ramdam. Mais que malheureusement, la réciproque n’était pas vraie.
Mais elle renonça finalement à se justifier. Conjuguant ses forces avec celles de Hans, elle entraîna lourdement Hurra vers les douches communes. Malgré les saletés qu’il portait sur lui, malgré l’odeur peu ragoûtante, ils le soutenaient du mieux qu’ils pouvaient.

Arrivée aux douches. La jeune femme lâcha brusquement Hurra, le laissant peser de tout son poids sur le pauvre cuisinier. Et elle ne s’occupait absolument plus de Kanako.
Elle ouvrit la porte de bois, et désigna Hurra d’un mouvement de tête.

- Vas-y.

Déplacer Hurra n'avait pas forcément été chose aisée, ils auraient tout aussi bien pu déplacer un poids mort. Sauf qu'un poids mort ils ne se seraient pas amusé à le trimbaler à la verticale. L'idole des foules avait fait le trajet avec les pieds traînant au sol, évacuant de temps à autre par sa bouche un reste quelconque, mais avec le temps, il ne lui restait plus grand chose que de la bave poisseuse à donner en guise d'offrande à son survet' . L'étrange attelage arriva aux douches et Sélène laissa à Hans le soin de supporter seul le rocker inconscient. Dire que le duo faillis se casser la gueule est un doux euphémisme, Hans se maudit de ne pas être plus robuste, mais accusa la coup. Ca servait à quoi de proposer son aide s'il ne pouvait pas assumer derrière.

Vas-y.

Vas y ? Vas y quoi ? Arrivé à cet endroit, Hans avait prévu de laisser Kanako s'acquitter du plus gros du travail. Il espérait ardemment que son acolyte réponde avant qu'il ne fasse une connerie mais s'approcha tant bien que mal de la douche.

Kanako s'approche de la douche. Elle retire ses vêtements à la hâte - ce qui ne manque sans doute pas de réconforter Hans après avoir dû trimballer le Boss sous une telle odeur. Puis, en maillot de bain, elle entre dans la cabine et appuie sur l'interrupteur du jet d'eau, aidant par endroits à décrotter la star tandis que les flots s'occupent du plus gros du travail.

Selene l'avait bousculée. Elle a l'air en colère. Pourquoi ? Serait-ce à cause de ce qu'elle a dit ? Incompréhension. Doute. Elle n'avait pourtant rien dit de méchant ? Peut-être Selene avait-elle mal pris le fait qu'elle la qualifiait de guerrière ?

Tout en commençant, après avoir fait la petite toilette de Hurra, à relever ses différents signes vitaux, la pacifiste non-violente dit alors.

"Ce n'est pas une question de jeu, j'ai mal choisi mes mots. Le terme guerrier, même sortant par mes lèvres n'était pas péjoratif. Je ne faisais que référence à la discussion que nous avions eue ensemble. J'espèrais juste que tu t'en souviennes."

- J’m’en souviens.

Appuyée contre le bois, à l’extérieur des douches, Selene n’ajouta rien. Le visage fermé, insondable. Elle observait Kanako, la laissant pour le moment œuvrer, ne pouvant cependant pas lui nier un certain courage. D’aller au contact du corps meurtri et sali, de ne pas rechigner à donner d’elle-même pour le sortir de là.
Malgré tout, l’énervement semblait être passé. La guerrière se tenait paisible, comme veillant aux bons soins de Hurra. Elle voulait qu’il se relève. Qu’il cesse de se laisser tomber, qu’il recommence à monter la pente sur laquelle il glissait en ce moment. Elle veillerait à le tenir éloigné des drogues quelques temps. Essayer de lui redonner le goût de la musique, pourquoi pas. Ça aussi, elle s’en souvenait. « La musique miss, c’est la seule chose qui t’f’ra sortir du trou noir où tu t’enfonces. » Quand il disait qu’il ne se sentait vivant qu’avec elle. Une scène et sa guitare.

L’Ecorcheuse laissait peser un regard presque absent sur lui. La musique, rockeur, c’est la seule chose qui t’ferait sortir du trou noir où tu t’enfonces ?

Secouant légèrement la tête, elle revint toute à sa concentration. A côté, Hans semblait préférer le spectacle des formes généreuses de Kanako à la douche d’un Hurra décharné.

- T’as eu peur d’le voir à poil ?

La question amusée avait été accompagnée d’un léger sourire. L’hésitation du cuistot n’était pas passée inaperçue.

Merde, raté. Hans fut pris de cours par la question de Sélène, quelle question à la con d'ailleurs, la jeune femme était complètement à côté de la plaque, mais il fallait lui répondre en y mettant les formes. Enfin, de façon pas trop abrupte ne serait déjà pas mal. Il continua de regarder dans la même direction un instant, puis fixa l'écorcheuse en biais, sans animosité, et enfin répondit, la voix un peu désabusée.

Hein ?

Non. J'm'en fout. Mais j'suis pas persuadé qu'on soit plus efficace à deux en même temps pour le nettoyer c'est tout.

Ses yeux se reportèrent sur sa collègue de travail en action. Dire que pendant se temps là, Zack et Vito les attendaient. C'était peut être pas le moment de faire dans le misérabilisme et de raconter à quoi la vision du rocker le faisait penser, pourquoi il était là en plus de sa dette.
Le cuistôt jeta un œil au tas de fringues d'Hurra, de loques devrait on dire, elle ne ressemblait plus à rien. Il les désigna de la tête à Sélène.

On va pas le remettre là dedans non ? J'f'rais aussi bien d'aller voir aux réserves si on a pas des trucs pas trop crades à lui filer. des trucs qu'on ne regrètera pas s'il se fait encore dessus j'veux dire.

Cela faisait un petit moment que Keira s'était réfugiée dans les douches après son entraînement avec Jo. Fallait bien dire aussi qu'un peu d'eau chaude sur ses muscles endoloris, il n'y avait rien de mieux!
Tout à leur affaire sur Hurra, personne ne l'avait remarqué dans son petit coin où elle s'était réfugiée en entendant quelqu'un approcher. Aussi eut-elle tout le loisir de comprendre ce qu'il se passait alors que ses doigts venaient d'en rouler une des serviettes autour de son corps.
Voyant l'état du rockeur, elle fronça les sourcils. Il n'était pas difficile de comprendre qu'il était près de l'overdose.
Inconsciemment, elle ne put que penser à Greg... Il avait le même vice qu'Hurra... et donc cela lui pendait également au nez. Immédiatement elle frissonna et se mit à espérer que quelqu'un l'aiderait aussi si elle n'était pas présente... Pour cette même raison, elle fit un pas en avant, sortant ainsi de son ombre protectrice, se mettant dans la vision de Kanako... Elle n'avait pas encore remarqué les deux autres... Selene et Hans...
Après une seconde d'hésitation, elle fit le tour du corps du rockeur et s'agenouilla à l'opposé de Kanako.

- Il me semble qu'il ne faut pas qu'il s'endorme...non? Faut qu'on le réveille sinon il ne va jamais sortir de ses hallucinations... Enfin il me semble... Ce serait p'tre mieux que quelqu'un cherche Mad'...

Portant ses deux mains sur les épaules de Hurra, elle commença à le secouer énergiquement. Le geste était franc mais sans aucune aggressivité... et pourtant elle aurait pû... Elle n'avait pas oublié que c'était lui qui l'avait privé d'une de ses mains.

- Hurra! Réveilles-toi, bordel!! Hurra! HURRA!! On a besoin de toi!! Hurra!! P'tain, t'es le lead' du Records! T'as pas le droit de les lâcher comme ça!!
HUURRAAA!!! Réveilles toi!! Faut pas que tu dormes!!

Elle se mit à lui donner des petites claques sur les joues pour le sortir de son état ouaté...

Coup d’œil sur le tas de vêtements poisseux. Selene n’eut même pas le temps de répondre à Hans qu’une furie se jeta sur le rockeur.

Instantanément, le visage de l’Ecorcheuse s’assombrit. D’où elle sortait, encore, celle-là ? Toujours à se mêler d’affaires qui ne la regardaient pas. Cette affaire en particulier était loin de la concerner. Et pourtant, elle était là, interrompant les soins de Kanako, ne paraissant pas avoir remarqué les deux autres, et secouant Hurra, allant même jusqu’à lui donner des claques. Elle était là, toujours, là où il ne fallait pas. Là où elle aurait aimé ne pas la voir.
Keira. L’esclave. Celle qui, pour Selene, resterait éternellement une prisonnière.
Une main saisit fermement le bras de Keira, l’arrachant au rockeur toujours écroulé. Avec violence, Selene la repoussa plus loin, la faisant chuter dans le sable.

- Tu t’approches pas d’lui.

Le timbre glacial n’attendait aucune contradiction. Rien ici n’était fait pour que la jeune femme insiste. Ne se souciant pas de la tenue pour le moins légère de Keira, ni de l’éventuelle douleur qu’aurait causé la chute, ni même des insultes qu’elle allait probablement tenir dans les secondes suivantes à son encontre, l’Ecorcheuse lui tourna le dos. Revenant à sa préoccupation principale.

- T’as raison, ce s’rait mieux qu’il mette quelque chose de plus… propre. Ces trucs-là on les cramera, tant pis.

De toute évidence, elle comptait bien rester là à veiller. Hans serait sans doute heureux de s’éloigner quelques instants de la tension palpable qui s’était réinstallée.
C’est enfin à Kanako qu’elle s’adressa de nouveau.

- T’as besoin d’aide ?

Hans attendait la réponse de Sélène quand Keira fit sont entrée, menant sa barque sans tenir compte du reste, s'imposant sans même s'informer sur la situation. En temps normal Hans n'en aurait même pas tenu compte, mais ça commençait à faire beaucoup de monde, et surtout, surtout, à beugler comme ça elle allait ameuter la moitié des habitants du coin. Enfin, la moitié encore assez sobre pour entendre son raffut et assez lucide pour bouger jusque là.
Il assista donc impassible à l'éjection manu militari de la jeune femme, c'était son problème après tout, et puis,il n'avait pas envie de s'opposer à l'écorcheuse sûr un terrain ou il n'avait pas la moindre légitimité. Il écouta donc la réponse de Sélène et hocha la tête pour signifier qu'il s'en occupait.

J'vais faire vite.

Il se mit aussitôt en marche vers les réserves d'un pas décidé, l'air de celui qu'à autre chose à faire que de tailler le bout de gras. En plus ça lui permettrait de donner ses consignes aux cuisines en passant.

Recroquevillée dans un coin sombre Tabara l’observe. Le torse légèrement penché en avant, les pieds fermement plantés dans le sol, les genoux plaqués contre sa poitrine.
La tête enfoncée dans ses épaules, elle le scrute.
Son regard sombre se durcit davantage devant la déchéance de ce spectacle.
Ses bras qui enserrent ses jambes contre son torse se crispent de rage. Ses ongles cassés et terreux s’enfoncent violement dans ses bras, mordant la chair jusqu’au sang. Mais le regard ne se détourne pas.
La douleur est ailleurs… elle l’endure simplement sans être capable de réagir autrement. Mais que pourrait-elle faire d’autre ? Un enfant peut-il simplement faire autre chose que de subir la douleur de la perte ? perte d’un ami, d’un père ou d’un frère… ou des trois.
Du sang perle maintenant de sa lèvre qu’elle mord pour mieux retenir ses larmes.
La perte est une chose douloureuse, l’abandon est encore pire.

Voilà qu’une ombre approche. Ange de lumière, Kanako se penche sur le junkie lui prodiguant soin et amour. Le sang de Tabara ne fait qu’un tour dans ses veines, il vient battre à ses oreilles en un écho assourdissant. Chaque geste tendre, chaque sourire, chaque caresse que Kanako lui prodigue sont autant de coups, de griffures, et d’insultes que Tabara envoie à la jeune femme, par la pensée. Mais elle ne fait rien et ne dit rien, tapie dans l’ombre, ruminant sa rage et son agressivité.

Kanako redresse difficilement Hurra pour le sortir du tas d’ordure. La prêtresse se redresse aussi doucement. Hans vient porter secours à Kanako.
A nouveau la rage l’étouffe et ses poings se serrent.
Mais c’est l’apparition de Sélène qui finit de plonger Tabara dans un état de psychose morbide et destructrice.

Sé…lène…

La machoire crispée au-delà de la douleur articule difficilement ce nom, qu’elle maudit aujourd’hui. Un lien particulier les unit, elle et le rockeur depuis le début. Tabara jalouse cette union en secret, sa nature égoïste et possessive n’autorise aucune intrusion entre elle et son jumeau, surtout quand elle est entrain de le perdre.
La belle italienne prend les choses en main, comme investit d’une mission. Tabara suit discrètement le cortège rongeant son frein, ne perdant rien de ce spectacle qui la tourmente et la rend encore plus folle qu’elle ne l’est. Ils entrent finalement dans les douches.
La prêtresse se faufile jusqu’à l’entrée, et là incapable d’entrer, elle finit par se plaquer dos au mur prêt de la porte, tendant l’oreille. Voilà que les bons samaritains se chamaillent à savoir qui doit intervenir pour sauver le king !
Mais qui pourrait le sauver de lui-même… ? Certainement pas ces misérables ! Ils ne le connaissent pas comme JE le connais !
Mais pourtant elle ne se lève pas et ne le rejoint pas… Son corps tendu ne répond plus.
Après tout il choisit cette voix se dit-elle, il a choisit de dépérir, de s’oublier et du même coup de nous oublier…
...de m’oublier moi… pense Tabara.
Cette haine qui la brule des pieds à la tete n’est en fait que la haine qu’elle porte à ce frère qui l’abandonne, qu’elle porte à tous ces gens qui s’activent pour lui venir en aide alors qu’elle en est incapable… parce qu’elle ne pourra pas lui pardonner.
Cette larme si durement refoulée finit par rouler sur sa joue. Et tout son corps se relache. Comme si le barrage émotionnel qui essayait de la contenir finit par céder… la peine se déverse ravageant tout sur son passage. Le flot brutal a finit par creuser une brèche dans la muraille, brisant les solides défenses pour y laisser une blessure inguérissable.

Tabara finit par se mouvoir dans ce corps engourdi et endoloris par la tension de ses muscles. Elle apparait finalement dans l’encadrure de la porte, projetant son regard tourmenté sur la scène.
Sa présence n’est que noirceur et négativité, elle lance un regard méprisant et glacial à Sélène. Enfin, elle se retourne et s’enfonce dans la ville.

Barbie n'avait pas vu Hurra dans la fange. Mais elle avait vu qu'on le transportait quelque part. Elle avait vu le manège de ceux qui se pressaient autour de lui. Le King arrivait encore à attirer l'attention, même si c'était par sa déchéance.

Le Records était un vrai groupe de rock. Avec ses scissions, ses disputes internes et sa descente aux enfers.
Selene avait définitivement intégré les Ecorcheurs, devenant une lame froide que l'on utilisait pour les ablations douloureuses. Un outil plus qu'un être humain.
Greg, que tout le monde prenait auparavant pour un rital débile, s'était lancé dans la gestion de la communauté, ce qu'il avait fait avec efficacité pendant de nombreuses lunes.
Eirikur s'était enfoncé dans ses délires atomistes et passait son temps en ballade à parler de centrale nucléaire et de reliques sacrées.
Jeff n'était plus que silence, accomplissant ses tâches sans décrocher un mot.
Le King, on voyait bien dans quel état il était, au fond du trou, déchet, loque humaine, détruit par les drogues.
Tabara était de plus en plus taciturne. La joie de vivre, un de ses traits caractéristiques semblait avoir disparu.
Il restait Jerk. Jerk, le manager magique, qui continuait à aider son prochain, à accueillir les nouveaux venus, à porter secours à ceux qui en avaient besoin. Mais il semblait bien seul.

Et il y avait elle, Barbie. Et qu'avait-elle fait ces derniers temps ? Elle sautait sur la première occasion de quitter l'ambiance morose et glauque qui s'était abattue sur la cité du rock et sur le Records. Elle hurlait avec les loups sur les ondes publiques. Elle se laissait aller à une violence sauvage lors des entraînements ou lorsqu'elle sortait de la ville. Bref, elle n'avait rien fait d'autre que fuir.

Voir Tabara dans l'état qui était le sien avait touché la poupée au plus profond de son être. Il y avait quelque chose qui changeait en elle. Elle avait grandi. Elle était moins niaise. Ses crises démentes se faisaient plus rares. Ses deux personnalités semblaient se mêler pour donner un être simple, à défaut d'être équilibré.

Il fallait faire quelque chose, et elle avait une idée en tête. Barbie suivit Tabara jusqu'à un coin tranquille. Là, elle la rattrapa et posa sa main sur l'épaule de la prêtresse d'Eda.

"Tabi."

Elle força la jeune femme à se tourner vers elle et la pris dans ses bras. La terrible prêtresse était une frêle jeune femme qui tremblait. Elle paraissait si fragile. Barbie avait l'impression qu'elle pourrait la casser en deux d'un geste.