Balade aux cuisines

C'était à croire que le plat avait fait de l'effet, Cendre-Lune avait de nouveau l'air pétillant, malicieux peût être, bien loin de l'état dans lequel elle était avant d'entamer les pommes. Le prix à payer était une avalanche de questions partants dans tous les sens. Elle empruntait les voies qu'il avait ouvertes, plus d'autres encore. Hans se leva également et s'étira de façon moins démonstrative.

Et maintenant, le plus chiant... nettoyer.

Le caramel collé au fond de la poêle allait se révéler un ennemi tenace il le savait.

Si ça ne te dérange pas je vais faire une liste pour répondre à tes questions, t'endors pas hein.

Il sourit.

Alors premièrement, je sais ce qu'on mange quand on crapahute en cambrousse, j'ai eu mon lot, mais justement ! Pourquoi s'en contenter bordel. C'est pas la mort de faire rotir la becquetance quand c'est possible, de mettre certaines herbes dans la gamelle...

C'est la qu'on arrive au deuxièmement, je ne ense pas que tu aies du temps à perdre, encore moins ici. Que dirait Aaron si un des siens apprenait à cuisiner héhé. Non, ce que je te propose c'est de t'apprendre des trucs qui permettent d'améliorer le vulgus... Si ça t'intéresse bien sur, que t'aies plus l'impression de juste te remplir, que ce soit un moment agréable.

Alors qu'il parlait il avait été chercher un grattoir et une boule de tissu.

Troisièmement, est ce que je t'ai demandé quelque chose en échange.

Quatrièmement, eh bien... oui je me sens bien ici, c'est pas pire qu'ailleurs, j'ai un toit, une cuisine pas dégueu ou je peux faire pas mal de choses, la défense à l'air solide, on me fait pas chier pour des broutilles. Bon c'est sur y'a quelques trucs glauques, certains coins crades...Suffit de ne pas trop y aller.

Pis y'a des gens intéressants.

il haussa les épaule d'un air désinvolte.

J'parle pas des trucs sur la place, je crois pas avoir pratiqué même dans mes trips les plus profonds...

Il avait commencé à gratter la poêle pendant qu'il parlait, et s'acharnait sur le bord qui avait bien eu le temps de coller durant la cuisson.

Il était méthodique, ordonné, sans doute une qualité essentielle pour bien faire ce qu’il faisait mais dans son discours c’était vraiment trop drôle.
Elle acquiesça d’un sourire au premièrement. Il était vrai que se donner un peu de mal sur la route ferait du bien aux papilles mais surtout au moral des troupes, comme au sien à l’instant présent. Il avait été rapide à préparer ce plat, et même si elle était sure de ne pas réussir elle-même à obtenir un goût aussi parfait, la recette était simple en fait.

Au deuxièmement, il lui fallut beaucoup d’effort pour ne pas se montrer grossière en lui coupant net la parole. Rien qu’en repensant à la silencieuse intervention pleine d’équivoque d’Aaron la dernière fois au bar la mettait de nouveau dans une grande colère. Et puis l’étiquette d’écorcheur qu’elle n’avait pas demandé commençait à lui coller une sacrée allergie.
Même si c’était inutile, il fallait qu’elle se justifie, que certains la juge lui importait peu, mais lui pas question. Pour l’instant elle le laissa finir, elle lui devait bien cette politesse.
Il s’affairait à nettoyer la poêle tout en parlant, et quand elle estima qu’il n'y aurait pas de cinquièmement, elle fit le tour de la table pour le rejoindre. La jeune aborigène l’attrapa sans trop d’agressivité par l’épaule pour qu’il lui imposer de lui faire face afin qu’il laisse 5mn sa tâche de côté pour l’écouter. Elle ne criait pas, ne se montrait pas hostile, mais elle voulait au moins que pour lui les choses soient claires. Elle appuya l’index sur son torse, se pencha en avant sur lui, l’obligeant à prendre appui de ses mains mouillées sur ce qui servait d’évier et le regarda droit dans les yeux sans sourciller. L’heure n’était plus à la plaisanterie et dans son regard on pouvait lire le besoin qu’elle avait qu’il la comprenne bien.

A mon tour ! Je tiens à ce qu’il soit bien clair pour toi que je ne suis pas la chose d’Aaron, et encore moins des écorcheurs. Cet Aaron n’a pas à décider de ce que je dois faire ou pas, ni avec qui je dois être ou non ! D’une certaine manière je reste libre même si je ne peux pas quitter l’enceinte de cette cité. J’ignore ce qui se dit sur moi depuis que Shazam m’a ramené ici, mais même si je suis là de mon plein grès je n’ai jamais demandé à faire partie de leur groupe de bouchers. Tu es aux cuisines par choix mais aussi parce que tu es doué pour ça, il se trouve que moi je le suis pour me battre, donc j’ai été enrôlée…mais je ne suis pas comme eux ! Je ne veux pas être associée à eux !

Elle reprit son souffle, cherchant à savoir dans les yeux du jeune homme si il l'avait bien entendu...

Dire qu'Hans fut surpris était un doux euphémisme, il enregistra cependantl'information rapidement : pour Cendre-Lune les écorcheurs étaient un sujet sensible.
Alors que la jeune femme appliqua la pression de son doigt sur son torse, il se rappela ses paroles lors de leur première conversation concernant les viscères et leur découverte du monde extérieur. Il tenait aux siennes, c'était un fait, et sa position n'était pas confortable, pas seulement concernant son équilibre quel que peu malmené.

Ecoute, je ne crois pas que tu m'aies bien compris, je me fous de la relation que tu as avec Aaron, je me fous de ce qu'on peux éventuellement raconter sur toi en ville je me fous que tu sois un écorcheur pur jus ou pas. Si tu bossais avec Billy à l'entretien du réseau d'eau ou avec Gabe à l'infirmerie, j'aurais remplacé Aaron par Billy ou par Gabe, qui auraient certainement aussi considéré ça comme de la perte de temps.
Maintenant n'aies crainte j'ai bien capté le message, je ne te parlerais plus des écorcheurs...
Je m'excuse si je t'ai blessé mais j'en n'avais pas l'intention.

Pas sûr qu'il soit partit dans la bonne direction même si le ton était sincère, le doigt de Cendre-Lune était toujours en position, il n'avait pas reculé et maintenait la pression. Bien sûr le jeune homme aurait pu tenter de se dégager, mais il se doutait bien que ça n'arrangerait pas la situation. D'un autre côté, le doigt n'appuyait pas plus fort. Le cuistôt décida donc de continuer, sans hausser la voix le moins du monde. Elle ne le faisait pas non plus, c'était donc inutile.

Alors t'en penses ce que tu veux, mais j'ai aprécié notre première conversation, j'ai aprécié de te cuisiner tes lièvres, j'ai aprécié de te les apporter, j'ai aprécié le petit gueuleton qu'on vient de se faire, j'ai aprécié de discuter avec toi, et ça n'a rien à voir avec ton statut ou le mien.

Alors qu'il parlait Hans se demandait comment en si peu de temps la jeune femme avait pu changer d'état d'esprit, et ce plusieurs fois depuis qu'ils avaient pénétré les cuisines. Il avait l'impression d'être un funambule, et pour l'instant plutôt un de ceux qui finissent au mieux sur une chaise roulante.

Toujours égal à lui-même, il était resté calme, ne surjouait pas les mâles comme beaucoup, il était simplement lui-même, et c’était bien. Il se voulait rassurant dans ses propos, cherchant à désamorcer tout quiproquo qui aurait pu amener à un conflit, mais en l’observant attentivement elle réalisa peu à peu qu’à défaut d’être comprise elle lui faisait tout simplement… peur.
Sa mine se décomposa lentement et la fougue qui l’avait emporté quelques secondes plus tôt se transforma vite en tristesse.

Pendant des années elle s’était forgée une puissante carapace pour se protéger des cinglés et autres pervers dégénérés qui pullulaient ce monde afin d’y survivre dignement. Elle s’était toujours montrée très fière de sa force, de son irréductible insoumission, et alors qu’elle était à présent capable de se faire respecter par la plupart des balèses du coin, elle prit conscience en voyant la posture en retrait et l’expression de malaise de Hans qu’elle était devenue tout simplement un… « monstre » ! Et à l’entendre ça allait bien au-delà de l’étiquette d’écorcheurs.
Elle n’avait pas voulu se montrer menaçante, ni vraiment agressive, juste passionnée dans ses paroles, mais ce qui manifestement aurait été bien perçu pour une simple femme ne l’était plus pour elle.
Trop de choses empoisonnaient son esprit depuis son arrivée à Ramdam. Ses pensées tournaient inlassablement dans sa tête sans qu’elle puisse les partager, elle éprouvait le besoin de remettre sa vie en question et cela ne faisait qu’engendrer son malaise et ses changements d’humeur si fréquents.
Elle avait eu envie de se faire un ami, une personne normale, ni dingue, ni haineuse, ni violente, quelqu’un qui l’aiderait peut-être à retrouver sa part d’humanité…mais au final peut-être que depuis le début l’attitude de cet homme n’était dicté que par la peur qu’elle imposait dorénavant même malgré elle. Ses paroles pourtant agréables à entendre n’étaient peut-être dites que pour apaiser la bête qu’elle était devenue. Tout ça l’attristait profondément, elle se sentait encore plus seule que jamais.
Elle retira le doigt de son torse et recula d’un pas pour lui rendre un espace sécurisant, embarrassée.

Désolée…je m’emporte…

Elle avait recouvert la main qu’elle venait de tendre de son autre main, regrettant son geste mais le mal avait été fait. Elle se dit que le mieux à faire à présent était d’aller se coucher et de le laisser tranquille.

Je vais y aller, il doit être tard, tu as sans doute mieux à faire de tes soirées…

Elle força un sourire et dénoua le pull attaché à sa taille pour l’enfiler avant de sortir. Mais avant de prendre congés elle se sentit obliger d’ajouter...

Par contre tu as tord de faire les choses gratuitement, si tu me donnes quelques tuyaux en cuisine je chasserais quelques prises pour toi…on a rien sans rien et je serais contente de te rendre la pareille…et…

Elle hésita un instant de peur de le voir se crisper si elle s’approchait de nouveau, mais elle se risqua tout de même et posa un rapide mais délicat baiser sur sa joue. Peut-être qu’elle avait besoin de lui prouver qu’elle était capable d’autre chose que de violence.

Merci en tout cas…pour le plat, cette soirée…ça rend les barreaux de la cage moins ternes…

Etait ce un jeu ? Qu'est ce qui la tracassait au point qu'elle soit si changeante en si peu de temps ? Il avait déjà assez pensé à la chose pour aujourd'hui alors il laissa couler, mais il n'empèche que ça l'intriguait vraiment. A la réaction de la jeune femme il entendit le grincement du fauteuil roulant qui s'éloignait dans les méandres de son esprit. La question était de savoir si c'était pour y disparaitre, ou pour attendre son heure. Apparement, elle était calmée, si tant est qu'elle fut vraiment énervée, difficile à dire au ton qu'elle avait employé, et leur discution touchait à sa fin.

Y'a pas de mal, chacun a des sujets qu'il ne préfère pas aborder. Faut p'tet juste éviter d'y penser, même quand ils arrivent dans la conversation...

Elle était vraiment sur le départ et il se demanda s'il allait poursuivre, mais bizarement, avec elle il avait du mal de se taire.

Enfin avant que t'y ailles, quelques précisions : j'ai pas dit que je te donnerais des cours particuliers, quoi que si ça t'intéresse ça peut certainement se faire, mais si tu viens faire un tour en cuisine quand on bosse je pourrais en profiter pour te montrer quelques trucs dans le feu de l'action, ça ne changera pas grand chose pour moi, et en plus tu seras au chaud. Et puis parfois, être désintéressé rapporte plus qu'être avide, pas souvent j'en conviens, mais j'ai encore le droit de choisir non ? De même que ce que je fais de mes soirées, celle ci fut agréable, et je t'en remercie également. Et crois mois si tu m'avais dérangé, j'aurais coupé court il y a longtemps.

Il sourit un peu et repris, ne sachant pas trop comment réagir à son baiser. Cette fois ci c'était l'image d'Aaron, qui s'imposait. Elle avait beau s'en défendre, le chef des écorcheurs avait bien un certain pouvoir sur elle, même indirectement.

Bon si tu dois y aller, bonne soirée. Tu reviens quand tu veux.

Elle était sur le départ quand elle remarqua un de ces lacets un peu lâche. Elle posa la botte sur le banc pour le resserrer, un bien peu subtile prétexte pour ajouter...

Je ne pensais pas à de l’avidité en fait, ni à du commerce froid stimulé uniquement par de l’intérêt…mais juste à un échange, d’égal à égal…ce ne sont pas les principes de base d’une relation… amicale ?

Le talon claqua sur le sol…

Je reviendrais sûrement, à condition que… tu te montres toujours franc avec moi…il faut arrêter de penser que je frappe tout ce qui bouge...

Je ne te ferais jamais de mal, tu as ma parole...si tenté que ça ait une quelconque valeur ici...

Crouï crouï... Le fauteuil semblait rôder pas très loin, et ses roues n'étaient pas graissées. Pourvu que le fil ne le soit pas non plus. Seulement là franchement, elle prennait des raccourcis dans les grandes largeurs. Et sans aller jusqu'à jouer le rôle de la vierge éffarouchée, un vieu relent d'indignation perça dans sa voix.

Et tu peux me dire à quel moment je t'ai décrite comme une brute patentée ? J'en n'ai pas le souvenir. Difficile donc d'arrêter quelque chose que j'ai pas commencé.

Nouveau sourire.

Par contre je pourrais te promettre de ne pas commencer.

Et je ne suis pas d'accord avec toi, enfin... J'ai toujours pensé qu'en amitié justement, on donnais de son plein gré sans forcément attendre quelque chose en échange. Encore une fois ça doit être une question de point de vue. Pour les junkies, les amis sont ceux qui les fournissent par exemple...

Arrivé à ce point, Hans parvint à se taire, la promesse de Cendre-Lune le laissait perplexe. Dans quel coin du monde on promettait aux gens à brûle pourpoint de ne pas les frapper en gage d'amitié ? C'était peut être rassurant, mais quelque peu troublant. Il n'ajouta donc rien, arrêté au beau milieu de la corde raide.

Elle le regarda un long moment, se demandant s’il comptait finir son explication mais manifestement pas. Il semblait étonné, voir indigné qu’elle puisse penser ça mais même si il jouait la carte de l’humour elle avait bien constaté son malaise quand elle l’avait approché de trop prêt. Malgré tout elle pouvait bien lui laisser le bénéfice du doute, un petit test peut-être ?
Elle se retourna vers le peu de personnes qui étaient dans la salle et qui continuaient à s’affairer et parler entre eux sans leur prêter la moindre attention, puis elle se retourna de nouveau vers Hans.
Elle afficha un sourire de défit et s’avança lentement vers lui, surveillant ses réactions, le moindre signe de tension.

Non, c’est vrai…tu n’as rien dit de ce genre…

Elle s’approcha au plus près, toujours attentive à ses réactions. Quite à faire erreur elle en voulait la preuve...

Mais… il y a des choses qui ne mentent pas !

Elle posa de nouveau le doigt sur son torse comme pour reproduire les évènements et pencha légèrement la tête pour le regarder en biais…

Si ce n’est pas moi, qu’est-ce qui te fais si peur quand je suis si près alors ?

"Oh putain" fut la première pensée qui lui vint. (C'est le moment d'imaginer un funambule glissant de son cable au ralenti, va t-il se rattraper à la corde malgré tout ?) Qui dans l'assistance avait demandé un bis ? Personne bordel, ça rimait à quoi ? Et c'était quoi cette histoire de peur ?

Euh, parler de peur me parait un peu excessif...

Disons que j'ai quelques apréhensions de diverse origines.

Il leva le pouce droit pour matérialiser l'énumération à venir, décidément, c'était la journée pour ça aussi.

Pour commencer cette posisition n'est pas des plus confortables, j'ai les guiboles tendues et les pieds qui vont glisser.

Ensuite, et bien... Comme j'ai plutôt tendance à éviter le conflit, le fait que tu n'aies pas l'air contente est perçu par mes habitudes comme un signal de danger potentiel, difficile d'aller contre ses réflèxes.

Il ne restait plus que trois doigts à lever

Sans compter la personne dont il vaut mieux éviter de te parler et l'interprétation qu'elle ferait de la situation. Là pour le coup, je suppose que sa réaction aurait de quoi m'apeurer...

Tout en parlant il avait remonté son bras gauche, et de son index libre poussa le doigt de Cendre-Lune vers le haut. Sans forcer, juste pour le décoler de lui. D'ailleurs il s'arrêta quand ce fut fait tout en continuant de parler.

Un peu comme maintenant quoi.

Son annulaire se leva alors qu'il présentait son dernier alinéa.

Sans oublier ce que tu m'as dit lors de notre papotte au bar, à propos de tes envies de vider un homme de ses entrailles. Alors autant quand tu mangeais les pommes, ça m'était complètement sorti de l'esprit, autant quand tu me regardes avec ces yeux là, ça remonte un peu à la surface. Je me doute bien que c'est une image, mais c'est pas forcément rassurant.

Alors j'sais pas ce que t'attend ? Que je te dise que tu me fait peur ? Non, ce n'est pas le cas, mais je me demande bien ce qui t'amène à me poser la question, si c'était le cas, on ne serait pas venu ici, j'aurais trouvé une excuse bidon pour ne pas venir et puis...

Il se rappela alors ce qu'il avait dit quelques instants plus tôt, avant qu'elle ne lui parle de barreaux et de son départ imminent. D'ailleurs elle avait pris du plomb dans l'aile l'imminence.

Mais dis moi t'as écouté ce que je t'ai dit tout à l'heure ?

Ce n’était pas drôle. Elle ne voulait pas qu’il la craigne. Elle se sentait vraiment différente en sa présence, elle aurait aimé que ça se ressente.
Pouvoir oublier les combats, le goût du sang. Pouvoir oublier la colère et la douleur, même quelques minutes, c’était important d’avoir enfin la chance de ressentir tout ça.
Ca faisait quoi ? Un an, deux ans, trois peut-être qu’elle avait traîné et subi la précarité extérieure et pendant tout ce temps elle ne s’était jamais liée à quelqu’un. Même avec Raven elle n’avait jamais eu de moments simples, aussi agréables, mais il faut dire qu’avec la mutante rien n’était jamais simple. Tout était au contraire tortueux, malsain, violent et douloureux, elle aurait pourtant donné sa vie pour elle à une époque. Elle l’avait aimé, c’est vrai, mais sans doute pas pour de bonnes raisons. C’était évident aujourd’hui.

Il n’était toujours pas à l’aise, mais il semblait pouvoir le justifier. Il recommença à se servir de ses doigts, elle se voulait très sérieuse mais ne put s’empêcher de sourire face à cette habitude qu’il semblait avoir. C’était mignon, quoique peut-être agaçant à la longue.
Elle l’écouta attentivement sans oser le couper afin qu’il ne perde pas le fil de ses explications si bien structurées.
Elle ressentit une pointe de soulagement. Peut-être était-elle allée un peu vite dans ses conclusions. Difficile de passer pour une jeune femme équilibrée quand on ne l’est pas. Difficile de déchiffrer les subtilités des émotions humaines quand on les limite à celles de la survie pendant aussi longtemps.
Il la repoussa légèrement, elle le laissa faire. Quand les doigts ne se levèrent plus et qu’il lui demanda si elle l’avait écouté plus tôt, elle prit sa main dans les siennes et sur le même modèle répondit à chacune de ses énumérations mais cette fois-ci en baissant un à un ses doigts.
Elle parla d'une voix plus détendue, avec même une pointe de taquinerie. Car si monsieur était doué pour détendre l'atmosphère elle trouvait qu'il se contrdisait tout de même un peu.

Tout en repliant l’annulaire…

Pour la posture inconfortable, tu n’as qu’à t’imposer un peu…à voir ta carrure tu es suffisamment bâti pour ne pas avoir à reculer comme ça. D’autant plus... si je ne te fais pas peur…

Puis elle baissa le majeur…

Pour les conflits tu as sans doute raison, mieux vaut désamorcer les choses au lieu de les laisser empirer, et pour ça tu sembles suffisamment intelligent et diplomate pour t’en sortir. J’imagine que de côtoyer les drogués ça aide, pour faire entendre raison à des gens qui n’en ont plus il ne faut pas être le dernier des crétins !

Ensuite le majeur…

C’est vrai qu’en règle général je n’ai pas une haute opinion des hommes, et j‘ai souvent du dire qu’un homme bon était un homme mort, mais comme tu as pu le constater je n’ai encore vidé les tripes de personne ici. Et de tous les mâles qu’il y a dans cette cité, je ne sais pas pourquoi mais tu es sans doute le seul que j’épargnerais sans me forcer…
Hum…comment on dit déjà ? L’exception qui confirme la règle…
Je t’ai écouté, oui, mais j’ai encore du mal à « entendre », ça peut te paraître dingue mais tu es sans doute la première personne avec qui je parle vraiment depuis au moins 3 ans !

Elle baissa finalement le pouce, lui fermant le poing, mais en affichant une moue faussement dépitée…

Donc si je comprends bien…à chaque fois qu’on est ensemble c’est à…Aaron que tu penses ? Mince je pensais être tout de même plus agréable à regarder que ce blondinet…

Telle un métronome, l'attitude de Cendre-Lune redevint plus cordiale, restait à savoir si quelque part quelqu'un appuirait sur le bouton stop avant que l'aiguille ne passe une fois encore de l'autre coté du cadran (Le funambule a donc attrapé la corde, mais combien de temps se maintiendra t-il accroché ? Arrivera t-il à remonter, à rejoindre l'autre etrémité ?). Il l'avait écouté contrer une à une toutes les raisons qu'il lui avait exposées, mais définitivement elle n'avait certainement pas compris que leurs façons d'appréhender une situation où la violence faisait partie des issues probables, étaient diamétralement opposées. Cependant il se garda bien d'en parler, ce n'était pas le moment. Peut-être que ça ne le serait jamais s'il voulait éviter de créer un point de discorde entre eux.
Quand elle avait abaissé ses doigts un à un il n'avait pas résisté, pour quoi faire ? C'était lui qui avait commencé d'une part, et elle n'y mettait pas plus de force que nécessaire d'autre part, tout juste une impulsion qu'il accompagnait. Maintenant qu'elle avait fini, il décida de ne pas prolonger la dicution dans les directions qu'elle lui proposait, elles ne semblaient pas très prometteuses, en tous les cas pas des promesses forcément agréables.

Oh, je ne contredirai pas là dessus, je suis assez d'accord... Même si je ne doute pas que certaines dames du coin sont d'un avis contraire. Par contre ce n'est pas ce que j'ai dit, seulement que la situation actuelle et ce qui pourrait en être dit, me donnait des raisons d'appréhender la suite, Il n'avait déjà pas l'air jouasse que tu me touches le bras au bar alors... Enfin bon, je t'ai dis que j'éviterai de t'en parler, inutile d'aller plus loin dans cette direction.

Elle relâcha sa main, pourtant agréablement chaude. Manifestement le diplomate était prêt à acquiescer à tout pour éviter qu’une guerre n’éclate, anticipant un autre emportement qu’elle aurait pu avoir. Bon sang, quelle image de folle il allait avoir d’elle ?!
Bien qu’elle était décidée à le laisser un peu tranquille afin qu’il ne se lasse pas trop vite de son attitude exaltée et qu’il ne finisse par la fuir définitivement dès qu’il l’apercevrait au coin d’une rue, elle était bien contrariée par sa dernière réponse.
Au final Aaron avait réussi son petit jeu, et cela sans même se donner la peine de lever le petit doigt. Il avait fait peur à Hans et maintenant quoiqu’elle fasse cela fausserait toujours leurs rapports. Il lui aurait mis un collier autour du cou, un comme ceux que l’on peut mettre à un animal de compagnie pour prouver qu’il a un maître, cela lui aurait fait le même effet. Avec en lettre grossièrement gravée « Propriété des écorcheurs », c’était un comble. Petit merdeux !

Elle n’allait tout de même pas lui proposer de le protéger d’Aaron ! C’était surprenant mais pour une fois elle pensa à protéger l’égo du mâle au lieu de le fouler joyeusement du pied, elle n’avait pas envie de le blesser là où généralement ça faisait le plus mal, même si il aurait pu encore la surprendre.

Je ne sais pas vraiment si il y a vraiment une direction là ! Je dirais plutôt un vrai cul de sac !...
Ce qui m’étonne c’est que tu sembles inquiet de ce qu’il pourrait faire, et pourtant tu m’as fait la cuisine…2 fois…n’importe qui pourrait aller jouer les mauvaises langues…

Elle avait fait quelques pas vers la table.

Je crois qu’il faudra que je lui en touche deux mots…je n’aime pas être tenue en laisse, et si ça doit te couper toute spontanéité je trouve ça intolérable

Elle sentait de nouveau la Cendre en colère repointer le bout de son nez, mais cette fois-ci elle lui épargnerait ça. Elle souffla pour vider ses émotions trop lourdes, puis, abracabra se retourna en souriant.

Allez cette fois-ci j’y vais pour de bon ! Encore merci pour cette douceur sucrée, pour la conversation…pour ta patience aussi…j’ai beaucoup appris ce soir, je ne m’en endormirais que moins idiote ! A bientôt monsieur le cuisinier…

C'en était donc fini, dans quelques instants le rideau tomberait et la pièce serait jouée... En tout cas la porte gondolée des cuisines ferait l'affaire pour marquer la fin de la représentation sans autre publique que les acteurs eux même... Les personnes présentes ne semblant pas s'être intéressées à la discussion. Hans hésita, bien dûr il était content que la jeune femme parte plus ou moins calmée, mais il ne voulait pas la laisser créer une situation qui pourrait être inconfortable pour eu deux, surtout pour lui pensa t-il un peu égoïstement.

Mais de rien, ça m'a fait plaisir... Et laisse Aaron en dehors de ça, inutile de lui apprendre ce qu'il ignore...

Le ton de la voix du jeune homme avait doucement baissé, assez pour n'être audibles que d'eux deux.

Personne ne sait que je t'ai apporté à manger l'autre jour... Les personnes ici présentes nous ont juste vu nous "affronter" sans trop chercher à savoir pourquoi... D'ailleurs je ne pense pas que c'est le genre de choses qui le dérange.

Puis plus normalement il continua la fin des politesses.

Passe une bonne fin de journée, comme je te le disais tu repasse quand tu veux.

Où il voulait en venir ? « Pour vivre heureux, vivons cachés » ?!
Mais ils ne faisaient rien de mal, alors pourquoi ?
Pour elle c’était comme d’accorder du pouvoir au croque-mitaine en laissant la veilleuse allumée, et Aaron était loin de l’effrayer suffisamment pour être d’accord avec Hans. Malgré tout elle lui dit…

Je n’avais nullement l’intention de donner des détails à Aaron tu sais. Ce que je fais de ma vie ne regarde que moi…mais soit…si ça peut te permettre de mieux dormir…

La dernière remarque n’était pas sans malice à voir l’expression de son visage. A peine avait-elle franchit la porte qu’un vent frais vint ébouriffer ses cheveux. Elle se retourna une dernière fois en souriant, comme pour dire une dernière fois au revoir, et confirmer qu'elle profiterait sans aucun doute de l'invitation. Puis elle disparut dans l’angle du bâtiment retrouver sa tente pour quelques heures de sommeil avant de reprendre consciencieusement son poste.

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