Quand j'serai grande, j'serai un vrai rockeur!

La nuit d’encre. Quelques étoiles rayonnent mollement. Dans un écrin de sable encore chaud, le Ramdam Record fait halte. Certains dorment, d’autre cuvent. Eirikur heurte son tambour de ses mains blanches, presque diaphanes. Communie avec la terre mère. Gaïa lui répond de rumeurs du vent, d’ondoiement de limons, de crépitements du feu de camp.

Eirikur ! Tu m'apprends le tamtam ?

Non. Pas elle. Pitié, pas elle. Pour une fois, Eirikur était prêt à remonter dans l’Austin de Greg pour reprendre la course, quitte à mourir au prochain ravin.

La sapiens bronzée revenait à la charge. Voulait, encore une fois, lui ravir un de ses précieux artefacts. Son tambour en peau et os humains. Ce signe des temps qu’il était en train de marteler amoureusement au coin du feu. Cette preuve résonnante et tapageuse qu’ils mourraient tous. Pourriture bipède. Saloperie vérolée. Fin de race putréfiée.

Tabara avait beau le coller comme morve au nez de Yotok, son esprit enfantin était navrement prévisible. Il suffisait de détourner son attention.

- Non…Tabara, enfin, ne t’ai je pas dit qu’il est…MAUDIT…par contre, je ne sais pas si Hurra te l’a dit, mais il a trouvé une flûte…elle était dans la poche du gars que t’as renversé… Elle est magique…

Eirikur sourit en se remémorant la mort du sapiens.

- Quand tu en joues…tu vois l’avenir…

Un masque de stupeur mêlé de peur s’imprima sur le visage de la jeune femme.

Tabara reste bouchée bée … Elle boit les paroles du mutant, complètement fascinée…
Elle est magique… Quand tu en joues…tu vois l’avenir…

Son expression change soudain, laissant transparaitre son désappointement et sa déception…
Sévèrement, elle dit à Eirikur :
Hey… Mais tu me prends vraiment pour une débile ou quoi ?

Elle sort la petite flute en os de son dos, comme par magie :
Je l’ai DEJA c'te flute!!

Désignant une étiquette invisible sur son front, la prêtresse se la joue à mort:
« oracle divin »… T’imprime mon gros ? Je reconnais forcement du matos de qualité quand j’en vois….

…Mais toi tu me sembles être entouré de pleins d’objets maudits…dis moi…
Ses petits yeux perçants et suspicieux se plissent, analysant chacune des expressions figées du mutant… Son regard noir plonge dans le sien, tentant d’élucider le mystère de ses yeux de glace…
Mais très vite la suspicion et la curiosité disparaissent, laissant place à l’espièglerie… L’attention se focalise alors sur le troisième œil…
Tabara approche doucement sa tête pour l’observer un moment. Toujours accroupie devant le mutant, elle commence à osciller de droite et de gauche, son attention toujours portée sur le troisième œil… Eirikur suit du regard le comportement curieux de la prêtresse, tout en restant à bonne distance et s’apprêtant à riposter.
Puis, Tabara glisse sur la droite d’Eirikur et recommence son manège… droite et gauche, forçant le mutant sur ses gardes, à la suivre du regard.
Finalement, penchée sur la droite elle lui dit :
Hey Eirikur… ?
Tu m’vois là ??
Sur la gauche : Hey ! Et là !! Là tu m’vois ???
En équilibre précaire, elle se penche jusqu'à aller presque dans le dos du mutant…Et là !!! Là !!!???

Perdant l’équilibre la Prêtresse se laisse tomber lourdement sur le sable :
Ahahaha !!! Rire de petite peste.
Elle agite frénétiquement ses calebasses sous son nez, toute fière qu’elle est de sa bonne blague.
Finalement elle se pose à coté de lui, et commence à fouiller son sac, elle en sort 2 poignées de « trucs » et de « pouets » en tout genre qu’elle jette sur le sol. Farfouillant le petit tas d’objets, elle semble trouver ce qu’elle cherche.
Tabara s’installe alors confortablement à coté du mutant. Sagement, elle entame la finition de ce qui ressemble à une petite poupée de chiffon, dont le vêtement bleu et les cheveux châtains rappellent bizarrement… Hurra Torpedo…

Calme toi. Ne laisse rien paraître. L’heure n’est pas encore venue. Chut. Ca n’est rien. Laisse filer. Laisse couler. Prends sur toi. Encaisse. Blinde-toi. Non, c’était trop dur.

D’abord murmure, la réponse d’Eirikur se fit hurlement.

Tabara…laisse…mOI TRANQUILLE !


D’un revers de main puissant, il la poussa. Elle bascula en arrière, soulevant une gerbe de poussière brunâtre.

Non. Pas maintenant. Pas ici. C’est trop tôt. Calme-toi. Reprends-toi. Ne la touche pas. Elle est différente. Différente ? De qui ? De quoi ? Etait-ce bien lui qui pensait ? Il n’a jamais pensé ça. C’est même le contraire. Elle est comme eux. Comme les autres sapiens. Non tu te trompes. Stop. Qui lui parlait ? Gaïa ? Devenait-il fou ? STOP !

Il saisit la poupée de chiffon bleue. La porta à sa bouche. Lui arracha une jambe d’un coup de dent rageur et la jeta au loin. Elle retomba mollement, portée par l’air bouillant. Sans un bruit.
Les trois yeux du mutant s’humectèrent. De grosse larmes cristallines coulèrent.


D’un souffle, il glissa à Tabara avachie : « Laisse-moi petite ».