Début de la lune 115…
A l’horizon, au milieu des volutes de chaleur qui s’élèvent dans le lointain, les formes noires et ondulantes de ce qui semble être une petite caravane approche d’Oméga. Une heure plus tard, trois hommes, dont deux maintiennent chacun un chameau par la bride, et une femme, rentrent au bercail après plusieurs lunes de capture.
Fatigués, le sentiment du devoir accompli, les Camels Boys s’apprêtent à prendre un repos bien mérité après leur longue marche. Un peu avant de franchir les portes de la ville, Moksha, leur chef, tire une dernière taffe de l’une de ces cigarettes artisanales, si communes à Oméga, avant de contacter Turbonegro grâce à sa radio pour le prévenir de leur arrivée. Cinq minutes plus tard, alors que le petit groupe commence à se disperser. Moksha intervient :
« Une minute, les gars. Je viens de parler à Turbo : on a les félicitations du chef pour les bestiaux. Quartier libre jusqu’à ce soir. Je crois qu’on l’a tous bien mérité. Bon Jeff, j’ai un dernier boulot pour toi. Faudrait juste lui ramener les deux bestiaux. J’te les confies, mène les à bon port. »
Là dessus, Moksha confie la bride du jeune chameau mâle qu’il tient depuis plusieurs jours à l’autre chamelier, lequel a quant à lui jusque là escorté une femelle, avant de prendre congé. Jeff Bargun : le membre le moins expérimenté du groupe en matière de chameaux, bien qu’il ait fait de gros progrès en à peine quelques semaines. Parti de zéro, il se défend bien à présent pour ce qui est d’utiliser un lasso, mais reste encore assez maladroit dans son rapport avec les animaux… Les deux camélidés dont il a à présent la responsabilité le rendent un peu nerveux, mais il se reprend vite : il a dirigé tout seul une bête de plusieurs centaines de kilos durant plusieurs lieues, il ne va pas se démonter pour un petit parcours de quelques centaines de mètres, il en a vu d’autres !
C’est alors que retentit un bruit qu’il n’a pas entendu depuis des lustres : un bruit de moteur. Tournant la tête en direction de l’entrée, il aperçoit un véhicule occupé par une femme et un jeune homme : tout comme les Camels Boys, l’avant garde de l’Acide Nucléik rentre à la maison.
Alors que le véhicule accapare toute son attention, il n’a pas remarqué avec quel intérêt le chameau mâle s’intéresse à la jeune femelle. Durant tout le voyage, chacun des deux animaux était gardé par son maître respectif, mais là, depuis cinq minutes, et pour la première fois en quelques jours, leur surveillant est distrait. Poussant un grognement, la femelle s’éloigne au petit trot, alors que le mâle lui emboîte le pas. En un instant, Jeff sent une bride puis l’autre, lui échapper des mains. Lorsqu’il se retourne brusquement, c’est pour voir les deux bêtes se faire la malle dans les rues de la ville…
« Hola, hola ! mais y me font quoi les deux là, hep !!! »
Sans perdre une seconde, il se lance à la poursuite des animaux, lesquels prennent de la vitesse, en jurant et pestant à la fois contre eux, mais aussi contre sa propre négligence. Pour avoir résidé depuis quelque temps déjà en ville, il sait qu’il doit à tout prix récupérer les deux captures, sans quoi la suite de son séjour pourrait bien s’avérer franchement merdique : la loi nukienne n’est pas connue pour excuser ce genre de défaillance. Au mieux, ce soir, il couchera dehors. Au pire… Non, il n’a décidément pas le droit de foirer sur ce coup.
« Putain de chameaux de m… humf… viens ici, saloperie… »
Hors d’haleine, l’apprenti chamelier parvient petit à petit à gagner du terrain. Les animaux sont à une cinquantaine de mètres, lorsqu’ils ralentissent au détour d’un chemin. Encore un petit effort, et il pourra saisir la bride qui traîne au sol…
C’est alors qu’un véritable bolide traverse en trombe la rue devant lui. Jeff, qui heureusement ne manque pas de réflexes, a tout juste le temps de se jeter instinctivement en arrière, et parvient in extrémis à éviter une traction occupée par deux jeunes femmes et un véritable colosse. La passagère, une borgne, a le temps de lui hurler :
« Bouge de la route, si tu veux pas finir comme un clown, s’pèce de paysage va !!! »
(Décidément, les bagnoles ont envahi Oméga depuis son absence, c’est à se demander à quoi ça sert qu’il se dépatouille à capturer des montures) Jeff n’a pas tout bien compris, mais il n’a pas le temps d’approfondir la question, le vacarme de la voiture n’a servi qu’à effrayer les chameaux qui, affolés, ont repris leur course de plus belle. Sans perdre une seconde, il se relève. A bout de souffle, son long manteau gris flottant derrière lui, il court de toutes ses forces, manquant à plusieurs reprises de percuter les passants qui s’écartent instinctivement. A nouveau il réussit à les rattraper, et, se jetant à terre, parvient à saisir la corde du mâle qui traîne sur le sol.
Le problème, c’est que ce foutu mâle pèse aux alentours de 800 kgs, et n’a aucun mal à traîner le chamelier au sol, qui tiens bon néanmoins. Jeff, qui bouffe un kilo de sable tous les dix mètres, injurie copieusement l’animal :
« Mais arrêtes toi putain de bordel à c…cough…pffff… ochonnerie à boss….pzzffffff %§&#*¤ !?
La course-poursuite se termine enfin environ cent mètres plus loin. Jeff, la gueule vautrée dans le sable, relève péniblement la tête. Il vient d’échouer à destination, juste devant l’entrée du bâtiment communautaire. C’est à cet instant qu’il voit deux pieds se planter juste devant lui : Turbonegro, intrigué par le vacarme, sort du bâtiment pour trouver le livreur de chameaux affalé de tout son long à ses pieds, la bride entre les mains. A quelques mètres , les yeux écarquillés, il aperçoit les deux chameaux, en train de copuler furieusement…
Jeu 20 Mar - 5:07