Les dernières glaces de l'hiver disparaissaient, relâchant de leur emprise les odeurs infectes de cette immonde boue qui recouvrait le monde, mélange de fange et d'excréments putrides.
Les germes et infections gangréneuses remplaçaient les virus et les toux, la bise terrible cédait sa place aux vents chargés de relents de mort et d'effluves de pisse. Les bêtes osaient de nouveaux ressortir à l'air libre, mais si maigres et si frêles, que la poigne d'un enfant aurait suffit à les broyer.
L'hiver était passée, cette saison de mort, et pourtant le printemps arrivé, rien ne renaissait, seuls ceux qui n'étaient pas mort continuaient à attendre la fin proche. Voilà tout ce que voyait Estrella : la lente décomposition du monde à l'agonie.
Ce matin n'était pas plus sordide que les autres, éternellement la même monotonie se répétait inlassablement, et cela dégoûtait toujours autant l'Ombre de voir ces créatures en train de tenter de survivre alors que la mort était tout ce qui attendait ceux qui avaient, dans leur insondable folie et ignorance, détruit la Terre et refusés de la reconstruire par l'Ordre, seule voie possible. Désormais, ils agonisaient, sur ces terres stériles, abandonné de l'espoir. Vivre, cela n'était que vanité.
Estrella ne croyait plus en rien hormis en un passé révolu, et subsister au côté de ces créatures aveugles et mourantes ne lui donnait que plus de haine et de désespoir.
Ce matin était comme tous les autres.
Cependant, la noire cabane de bois, lieu soigneusement évité par la plupart des habitants de Ramdam -que ce soit pas peur ou par indifférence- et ceux qui ne faisaient que passer, n'était plus habitée, vidée de toute la noirceur véhiculée par Estrella, femme qui jamais n'aura connu un matin, puisque vivant dans sa propre ombre et dans sa folie qui jamais n'aura laissé de place au bonheur.
Lune 188, après quatre ans de souffrances et de combats perdus, l'Ombre était partie, laissant dernière elle le vide du passée, contenu dans un épais journal noir.