La fable des vautours et de la colombe

Eirikur dit:

Citation :

Torpeur estivale, quand tu nous tiens… le Ramdam Records se refusait à bouger de son nid herbeux. Pendant des jours, il avait végété, mâchant herbes folles, lorgnant mollement l’horizon. Pour finalement replonger, dans la douceur du matelas gras. Ah !...que c’était bon…le concert attendrait.

Puis vint la clameur. Nécropolis chahutait, transbahutait des marchandises. Des éclats de voix étouffés, des bruits de manutention grossière montaient de la vallée jusqu’aux oreilles – musicales – de la fine fleur de rock post-crash.

L’œil rougi, la bouche malodorante, le teint blafard, Hurra sonna la charge.

- Bon…ce concert…on le fait…

Finalement ils dormirent.

Jusqu’à l’arrivée des vautours. Ces volatiles qui les suivaient presque depuis la naissance du groupe. Cette fois, ils étaient six. Comme les six doigts de la main. Comme les six mousquetaires. Comme les six coins d’un cercle. Surtout, comme les six rockeurs de l’apocalypse.

« C’est un signe…Ils sont six…un signe de Gaia », glapit Eirikur, meurtrier ;
« C’est un signe…Ils sont six…un message du sous-monde », tonna Selene, taciturne.
« C’est un signe…Ils sont six…Eda m’annonce quelque chose », marmonna Tabara, en transe.
« C’est un signe… Ils sont six…comme nous dis donc », remarqua Jeff, étonné.
« C’est un signe… Ils sont six…et ils plannent…comme Jimmi, comme moi… », articula péniblement Hurra , défoncé.
« C’est des cygnes…enfin, je crois », expertisa Greg, tout simplement con.

C’est le moment – très inopportun -que choisit une colombe pour surgir de nulle part. Enfin, de nulle part, plus précisément de la poche d’Eirikur, ami des bêtes, mais pas des faibles. Et donc a fortiori pas des bêtes faibles.

La traque fut brève. L’issue sanglante. Le repas, dégusté. Jusqu’au dernier osselet.

Eirikur dit:

Citation :

Les pirates étaient arrivés, troupe chamarrée. Troupe radieuse. Troupe belliqueuse, peut-être. Les traînards de l’inquisition sauraient apprécier.

Siobhan avait fui, laissant ses brebis bigotes sans pasteur. Livrées leur triste sort. Trop triste.



Mais les rockeurs sont des gentlemen. Et ne s’accommodent pas du menu fretin. Alors l’Austin contourna Nécrpolis, en une pétarade de fin du monde. Elle aurait tôt fait d’y revenir.

La masse fumante et branlante s’engouffra dans de sinueux escarpements montagneux. La mécanique peinait, soupirait. Hurlait à tue-tête.

- Va falloir pousser…Jeff ?

La condition de bleu-bite est parfois ingrate. Chienne de vie. Pendant que cette canaille de Jeff poussait à s’en décoller les bronchioles, des ombres noires – les ombres sont toujours noires me direz-vous, et là vous marquez un point – serpentaient dans la montagne.

Lorsque, enfin, le dernier col fût passé, lorsque, enfin, l’horizon offrit autre chose de que la rocaille, la surprise était au rendez-vous. Pile à l’heure, cette salope.

« M’enfin, quand on était en bas ils étaient trois, maintenant ils sont…1…2…3…4…5…6…7…8…9…10 », dénombra, avec aisance, mais néanmoins paniqué, le vif Greg.

« Ca va aller, Greg », risqua Eirikur, posant une main amicale sur l’épaule du benêt. Il l’enleva aussitôt, dégoûté, autant par sa propre compassion que par les larges pellicules grasses que le cuir chevelu de Greg étalait sur ses frusques.

Greg semblait épouvanté, au bord de la syncope.

« Greg, calme-toi…tu te souviens de la colombe tout à l’heure…enfin, l’oiseau blanc…c’est un gros pigeon en fait…et toi, tu vas jouer au tir au pigeon. D’accord ? »

Les carreaux furent tirés de leurs fourreaux. Les barillets négligemment inspectés.

PULL !

Putain d'merde...

Et voilà, ca rale et sa peste depuis des heures.
Ces connards de Necropolitains ont rien trouvé d'mieux que d'se barrer en montagne pour poser la scène du concert...
Et maint'nant quoi... on est là comme des cons à grimper les caillasses...

Ca râle et sa peste toujours tandis que la distance s'accentue avec le reste du groupe. Faut dire qu'elle pèse la Fender... et Jeff qu'a prétexté de ne pas pouvoir trimballer sa batt'rie pour pouvoir rester peinard à buller dans l'austin... L'enfoiré.
Et t'crois qu'ces branlots m'attendraient !?!

La langue tirée, les chevilles douloureuses, il s'affale de tout son long après une énième montée.
Le bruit métallique coutumier dans sa poche se fait entendre, comme une putain d'bonne nouvelle.

Le reste du Ramdam Records n'est plus qu'un point à l'horizon, soit à peu près à 5O mètres de lui derrière une côté... précédant une nouvelle côte avant ... encore une cote.

J'déteeeeste la rando putain

Hey Stronzo ! On y est !

Ouai d'accord....

Les yeux gonflés par l'effort, il nettoie un galet presque plat d'un revers de main avant de procéder au petit rituel.
Déposant une dose de sa précieuse poudre sur le galet, en quelques minutes tout est prêt.

SNIIIIIRFLLLLL.....
AAAaaaahhhhhhhh...........!

Pupille dilatée, explosion dans son petit cerveau, afflux d'énergie daNS touT son corps, en quelques secondes il passe de loque épuisée en loque cocaïnée.
Sautant sur ses arpions les bruits de la scène commence à résonner dans sa tête.

C'est alors qu'il les voit, tout le monde accorde son instrument une dernière fois, le public en bas s'agite et s'affole, un gars nommé Zippo, un enfoiré d'tox c'est clair, est en train de s'piquer, mais putain c'est quoi ces seringues de 1 mètres de long !
Un avant gout du paradis pour sur, en bas ca court et ca s'agite toujours.
John Doe pisse le sang.
Comme tout le monde en fait.
Merde les cons.

Profonde inspiration, dégainage rapide de Fender, les premiers accords résonnent, les premiers corps s'effondrent...

http://www.deezer.com/track/20249

Riffs de guitare rageurs. Larsen assourdissant. Détonations hargneuses, sifflements mortifères. Si le Ramdam Records avait un don, s’était bien celui se transformer un petit coin de paradis en vaste terrain vague poisseux. Moineaux et alouettes avaient déguerpi. Seuls étaient demeurés les vautours, braves bêtes. Les fleurs orange qui parsemaient encore les contreforts rocheux s’étaient fermées.

Avec une gaucherie toute toxicomane, les rockeurs tiraient à l’aveuglette. La poudre artisanale des pétoires dessinait de petites nappes beiges, impénétrables. Les noires fumées tourmentées de l’Austin montaient du ravin en contrebas. Des vapeurs d’huile nauséeuses, des relents opaques de goudron sale ajoutèrent à la confusion. Opportunément, une nappe de brouillard montagnard descendait sur la scène tragique. Et que dire des cumulonimbus de poudre blanche soulevées par les éternuements d’Hurra.

Bientôt, la cécité fut totale. Mais on est une bête de scène ou on ne l’est pas. Malgré ces apparentes intempéries, le concert continuait. Psychédélique. Dément.

Les chargeurs étaient vidés à l’aveuglette. Les carreaux d’arbalète expédiés au petit bonheur la chance. Dans tous les directions. Après tout, le public était tout près.

Plusieurs fois, on entendit le son familier des balles qui ricochaient sur la carrosserie jadis rutilante de l’Austin. Puis le son moins coutumier des dernières vitres intactes qui volaient en éclat.

« Y’a pas de mal ! », hurla Jeff, la voix étranglée. Chienne de vie. La condition de voiturier est ingrate, surtout en ces jours sombres où les pourboires cèdent le pas aux bastos.

Chacun son obsession.
Tabara en transe, luttant contre des ombres. Hurra virevoltant, halluciné, se donnant à fond pour son public. Greg stakhanoviste du tir sur cible invisible, vidant les chargeurs comme d’autres siphonnent les pintes. Eirikur, grisé par son impression tenace de le xénocide était en marche.

Peut-être une seule raison d’espérer. Selene se tenait en retrait. Elle n’avait tiré qu’un carreau. Mais, elle en était sûre, c’était le seul qui avait fait mouche…

C’est un petit privilégié, Jeff, quand on y pense… Confortablement installé à l’arrière de la voiture – présence de la batterie oblige – (trop long à installer à l’extérieur), le batteur se chauffe les baguettes avant d’agrémenter à nouveau la vallée de bonnes percussions bien métalliques. Comme dans les luxueux palaces roulants d’avant-crash, avec leur mini-bar intégré, ils dispose à portée de main de l’alcool de la tournée…Whisky ET Vodka s’il vous plaît ! Beaucoup de personnes dans le désert aimeraient être à sa place à cet instant précis… Après quelques bonnes rasades des deux liquides… et quelques instants… un horrible vacarme éructé par les fenêtres de la « grosse caisse » fumante, vient accompagner les zicos qui ne l’ont pas attendu…

A peine quelques minutes plus tard, alors que, déchaîné, il massacre puissament un solo de batterie, étrangement en phase avec le (appelons les choses par leur nom) véritable bordel musical du reste du groupe, des détonations retentissent, plusieurs balles atteignent la voiture…

Si il y a une qualité qu’il faut reconnaître à Jeff, c’est bien ses réflexes : bien que proche de 2 grammes d’alcool dans le sang, en l’espace d’un instant, il a lâché ses baguettes (de simples tiges d’acier bandées de vieux adhésifs), puis s’est recroquevillé sur la banquette, la tête entre les mains. Sitôt la fusillade calmée, maugréant des insultes à faire fuir même les vautours qui pourtant semblent veiller sur eux, il s’empare d’un geste des armes à portée de main – une arbalète et un sabre d’abordage qui traînaient là – puis risque un œil par la vitre fracassée… Comment les nécrophiles osent ils leur tirer dessus ? Il sait qu’il a encore quelques progrès à faire à la batterie, mais c’est quand même pas mauvais à ce point là !

« Y’a pas de mal ??? » lance t’il à ses compagnons restés sur scène autant qu’à lui-même, pas certain d’être sain et sauf dans son étant d’ébriété…

C’est alors qu’il remarque les vrais dégâts… sur son bel instrument. Deux peaux, tannées tant bien que mal, et récupérées sur les fesses d’un quelconque cadavre, tendues avec soin par lui même, pendouillent à présent… déchirées : le petit tatouage (au milieu de la peau gauche) qui avait guidé son choix à disparu. Et ces vielles tôles, qu’il avait eu tant de mal à dénicher et à nettoyer de leur rouille… trouées maintenant. Et que dire de ce vieux filtre à huile… maintenant qu’il est percé, il n’aura plus jamais cette résonance si particulière qui lui plaisait tant…

Foutus nécrophages… mêmes pas foutus de respecter les artistes. Et s’en prendre à un instrument, ça, ça n’a pas de nom ! La stupeur de la fusillade fait place à une rage saturée de vapeurs d’alcool, décuplée par le mélange Whisky-Vodka qui lui taraude à présent l’estomac. Apercevant à travers les différents brouillards, vapeurs et fumées, les lâches qui s’enfuient, il sort en trombe de la voiture, brandit le sabre en l’air en poussant un cri de rage, puis le lance dans leur direction, bien inutilement à quelques mètres…

Enfin, sans interrompre les insultes qu’il distribue, tout comme il va distribuer les carreaux dans quelques instants, il rejoint ses camarades sur scène, prêt à canarder avec eux les formes qu’il croit discerner à travers la brume. Le pas décidé, manteau flottant derrière lui, l’arbalète calée entre les mains, les yeux vociférant vengeance, ils est trop tard à présent pour lui présenter des excuses…

D’opaque, le nuage devint cotonneux. Puis diaphane. Encore quelques quintes de toux, quelques larmes versées, et il se dissipa.

Stupeur. Les troubadours étaient seuls. Le gros de la troupe curetonne avait déguerpi, laissant derrière elle quelques cadavres criblés de traits, de plombs, de molaires, de ragondins diabétiques.

Les vapeurs grasses du moteur avaient stoppé leur ascension vers les cieux. Elles retombaient, liquides. Il pleuvait de l’huile de moteur merdeuse.

Alentours, les épineux noirâtres, fauchés par les rafales, grinçaient mollement. Quelques branches tombèrent lourdement sur un matelas de feuilles poinçonnées.

L’heure de l’after avait sonné. Les verres furent déplombés et les bouteilles siphonnées.

…

Tard, très tard, ils se levèrent finalement. Les fronts migraineux barrés de douleur éthylique. Ils chargèrent, lents, le matos dans la caisse. Abandonnèrent le superflu et ce qu’ils avaient la flemme de ramasser.

L’Austin démarra miraculeusement, plus pétaradante, poisseuse et nauséeuse que jamais. Elle fila vers le home town, laissant derrière elle la plaine immaculée. Ou presque.

Dans le sillage goudronneux du pot d’échappement, la nature, trop longtemps troublée dans sa quiétude, pouvait reprendre des droits. Un hérisson albinos, gaillard, s’élança vers un fond de canette qu’il lapa avidement.

Dans la seconde qui suivit, il gerba.