Yé vois... la morrrrrrt!!!

Le voyage se poursuivait tranquillement… Contre toute attente Tabara avait gardé le volant. Plus qu’une simple chauffard, elle sentait naitre en elle une véritable pilote !
Finalement sa conduite sportive ne semblait déranger personne, à part peut être le « 3yeux »…
Regard en coin dans le rétro, tout en pensant:
"Il n’a rien dit… mais le bougre a l’air sacrément ronchon et machiavélique... Peut être un sorcier lui aussi ? ou peut être pas… il manque vraisemblablement de grigris et de rubans pour être un honnête shaman… Non… ce doit être un de ces perchés ruminant ses propres aliénations…"
Petit sourir "Ca fait plaisir !"

Reportant son attention sur la route, Tabara pile tout à coup!
L’ensemble de la voiture est encore une fois expulsé vers l’avant. Cette fois Tabara s’est préparée au choc, relevant la tête pour épargner la grosse bosse sur son front tamponné à la marque d’Austin… Du coup c’est le nez qui prend…
Les yeux remplis de larmes, Tabara se tient son nez en sang…
"Grrrr maudit volant!!!!" se dit-elle.
Elle attrape son baton rituel d’un air menacant et le secoue frénétiquement devant le volant en signe d’ultime avertissement ! Si ce maudit « truc » ne se montrait pas plus coopératif la prochaine fois elle saurait s’occuper de son cas !

Humpf ! Coup de mèche contestataire, elle ouvre la portière et file vers une carcasse pourrissante, qu’elle a remarquée depuis la route. Les bras tendus comme des ailes d'un vautour, Tabara court sur le cadavre décrivant un large cercle d’abord, pour finir par « atterrir » au dessus de lui…
héhéhé…
Assise le torse du mort, elle agite violemment son bâton en hurlant : Maudit !!! Ahahaha !! Maudit !!

Tchikitchikitchak !

Puis l’excitation laisse la place au sérieux. Dans un premier temps, Tabara osculte soigneusement la dépouille, sans dire un mot, quelques grimaces animent parfois son visage concentré… ses gestes sont lents mais calculés… Son corps entier semble danser sur la dépouille, à mesure qu’un filet de voix s’élève peu à peu, accompagnant ses mouvements… Gestuelle et chant s’accordent pour tracer les runes dans l’air…
Puis elle attrape la petite lame rouillée à sa ceinture, et l'abbat violemment sur le ventre du cadavre. Les deux mains ancrées sur la garde, Tabara éventre le malheureux laissant se rependre une odeur de mort. Sans l’ombre d’une hésitation elle plonge ses deux mains dans la plaie béante, ressortant les intestins gluants… Elle en regarde attentivement chaque partie :
Non…. Pas ca… hum…
Fouillant, farfouillant dans les boyaux, elle semble chercher quelque chose de précis. Attrapant d’une main les intestins, de l’autre elle suit du doigt leur prolongement, comme un enfant qui apprend à lire.
D’un air satisfait
Humm… Ca j’le savais !
Continuant sa lecture :
Ah ! subitement intéressée par un bout en particulier, Tabara plisse les yeux, d’un air concentré… Humm… intéressant…

Une pause, enfin. Une trêve dans cette guerre avec la route, il en rêvait. Eirikur avisa ses membres, constellés de bleus naissants. Se passa la main sur l’arcade encore sanguinolente. Remua ses jambes engourdies par les oscillations mortifères. Vivant. Pour combien de temps encore ?

Un halo de lumière heurta ses trois yeux. Le soleil déclinant que lui renvoyait le rétroviseur. Il s’y mira. L’albinos s’y vit plus blême qu’il n’avait jamais été. Une pâleur de mort…ou de …de …de….vomi ?

D’un geste réflexe, il ouvrit la portière. Eructa le produit de son estomac dans un flot brun. Bruit de sucions. Déglutitions sonores. Halètements noyés. Un voile noir obscurcit sa triplette d’yeux.

Eirikur se laissa rouler à terre. Il la toucha en levant un nuage de poussière rousse.

« Salope…arg »

***

Ses esprits revenus, le mutant pris ses distances avec le petit groupe de sapiens. Certains continuaient à régurgiter alors que Tabara s’adonnait à un curieux manège nécrophile. Le panorama était parfait. L’humanité dans toute sa médiocrité. Son imperfection intrinsèque, son inutilité crasse. Gaia, n’en épargne aucun. Ils ne te méritent pas.

Les environs n’étaient que charnier. Le désert vomissait des cadavres par dizaines, qui émergeaient peu à peu au gré des vents du sud. Grain par grain, le sable découvrait des dépouilles tantôt momifiées, tantôt purulentes et véreuses. Eirikur ne put réprimer un rictus de bonheur à la vue de ce champ de sapiens trépassés.

« La fin d’une race corrompue…le début d’un ère…héhéhé ».

Apercevant un side-car carbonisé – Eirikur ne le sait pas, mais je peux te le dire, à toi, lecteur : c’est un officier de la Wehrmacht envoyé ad patres en 1944, qui resurgit seulement maintenant du ventre de Gaia ; ça te la coupe, hein ? – il s’en approcha. Sur le squelette grimaçant, paré pour l’éternité d’un masque de douleur et d’incompréhension, il récupéra un casque rouillé et des lunettes de motocycliste brisées. Protections, s’il en était, contre la furie qui conduisait l’Austin.

« Merci Gaia…Tu es toujours là quand j’ai besoin de toi. Je saurai te servir. Et le moment venu, frapper ».

Une sacrée dingue. Hurra laissait le volant à la Prêtresse, alors qu’elle ne savait pas conduire. Désormais habituée, Selene anticipa le dernier arrêt brutal, tendant une main en avant pour se retenir. Tout le monde ne sembla pas avoir aussi bien vu le coup venir… Hurra se retrouva encastré sous le tableau de bord.
Se frottant le bras malgré tout douloureux, Selene observa la dingue sauter hors de la voiture et se précipiter sur un cadavre, pensant tout d’abord à une sorte de rite cannibale. De son côté, Eirikur ne semblait pas dans son assiette. Yeux ronds. La jeune Mafieuse s’éloigna rapidement de lui et sortit de l’Austin à l’opposé alors que le mutant rendait la liberté à son précédent repas.

L’agitation lui donnait mal à la tête. Elle se mit légèrement à l’écart, observant d’un œil critique Tabara. Elle foutait le feu au cadavre. C’était définitif, cette fille était complètement atteinte. Reculant pour se mettre à l’abri de la chaleur montante du brasier, tout en se demandant quel effet aurait une flèche plantée dans le crâne de cette dingue, Selene continua son observation silencieuse… contrairement à Tabara qui se mettait à courir en poussant des petits cris aigus.

- Elle va s’en prendre une.

Seule cette perspective réjouissante arracha un sourire à Selene. Le mutant faisait peut-être des efforts pour rester avec eux, il n’était pas sociable à ce point-là, faut pas déconner. Alors qu’elle s’imaginait que la petite Prêtresse allait méchamment morfler, une voix s’éleva lentement près du feu, accompagnée du son caractéristique de la guitare de Hurra. Comme toujours, il avait recours à la musique.
Prenant conscience par la même que sa propre guitare avait pu souffrir un peu, l’ex-Mafieuse se dirigea vers la voiture. Toujours là, et entière elle aussi. La Manson Bomber fut extirpée de la pauvre voiture pour se retrouver dans les mains de sa propriétaire. Selene sauta sur l’Austin et s’assit sur le capot, tentant de suivre les accords du rockeur. Elle s’en sortait de mieux en mieux. Alors que Greg s’était lui aussi joint à la partie, la chanson s’éleva près du feu, comme interlude prédécesseur d’un événement.

Peut-être qu’Eirikur allait brûler la Prêtresse…

Il est des instants où les idées se bousculent dans nos cerveaux. Le ruisseau calme devient torrent de boue. Le battement de cil devient séisme. L’étincelle devient brasier.

Eirikur vivait un de ces instants. A peine ses synapses lui avaient-elles envoyé une idée de mise à mort qu’une autre, puis une autre, et encore une autre se bousculaient dans ses neurones.

Eventrer Tabara. L’égorger. La brûler vive. Non, la brûler morte. Non vive.L’étouffer. L’étrangler. Les deux. Et l’empaler aussi. Pourrait-il à la fois l’empaler et le brûler vive ? Sûrement, mais dans quel ordre ? Lui presser les yeux jusqu’à faire exploser sa boîte crânienne. Ou un œil seulement, que l’autre puisse voir son bourreau. L’éventrer. De bas en haut ou de haut en bas ? En biais ? La harponner. Oui la harponner.

Les mains blêmes de l’albinos saisirent son lance-grappin. L’armèrent.

Autour d’Eirikur, le ballet puéril de Tabara continuait. Sautillante, gesticulante, trépidante. Plus pour longtemps, ordure sapiens.
…

"Burn the Evidence of my existenz..."

Le cri d’Hurra couvrit les minauderies tabaresques. Les amplis vrombirent. Vomirent à leur tour leurs restes de gros son. Les Fenders assenèrent leurs riffs rageurs.

Eirikur se détendit. La musique domptait le fauve. Il chercha son tambour du regard. L’aperçut à l’arrière de l’Austin.

Alors, se penchant vers la prêtresse, il lui sourit. Des mots doux, suaves, presque paternels quittèrent ses lèvres.

« Non ma petite Tabara, je ne peux pas te les prêter…Ils sont…Maudits. Aller, rejoignons les autres ».

Aussitôt il regretta ses paroles. Il aurait du la tuer. En finir définitivement avec cette vermine. Tant pis, il avait tout son temps.

Maudit ?!!!

A ce mot, Tabara cracha 3 fois par terre et piétina la terre en tournant sur elle-même 3 fois également, pour conjurer le mauvais sort.
Puis elle fouilla dans son sac et sortit deux petites allumettes… Elle plaça l’une d’elle à la naissance de ses cheveux au dessus de son front, et tendit la seconde à Eirikur :

Tiens ! Met ca comme moi ca te protégera du mauvais œil.

Elle agita gaiement ses calebasses à coté du mutant.
Tchikitchikitchak !

Ce gars avait l’air très sympa ! Tabara aimait les gens intelligent, celui-ci avait l’air de comprendre pas mal de choses… Elle avait bien remarqué son air constipé quand il lui adressa un sourire, mais c’était un joli sourire même forcé. Allez ! Il a bien mérité son instant de répis se dit-elle…
Du coup la Prêtresse arrêta son insupportable manège et l’attrapa par le bras pour se diriger calmement avec lui vers le reste du groupe.

…Chasser le naturel….
Enivrée par la musique Tabara marchait en s’agitant de plus en plus; d'abord la tête, et puis les bras, fatalement le corps entier suivit.
Finalement, Eirikur stoppa net au bout d’un moment, fatigué d’être bousculée par le déhanché endiablé de le jeune Prêtresse….
De son regard jaillissait des éclairs et des tourbillons psychotiques… Tabara lui répondit avec son plus beau sourire ! Et le lâcha finalement pour évacuer son trop plein d’énergie plus loin !