Leana blêmit. Soudain figée. Percevant son émoi, Fubarro fit cesser la vibration de ses anches. Puis, plongeant les pépites que cachaient ses orbites dans les yeux de la femme, il lui répondit d’une douce voix rauque.
- Il berce nos cœurs à tous. Ce morceau raconte un rêve que chacun fait aujourd’hui. Celui d’arbres verts, de roses rouges, d’oiseaux bleus volant au-delà d’un arc-en-ciel. Je le trouvais ringard ce morceau, avant. Oui, totalement ringard. Mais maintenant que les arbres sont gris, les roses fanées et les oiseaux morts, maintenant qu’on ne voit plus d’arc-en-ciel, elle prend tout son sens cette chanson.
Il porta à nouveau l’instrument à ses lèvres, joua quelques mesures.
- Il parle aussi d’enfants ce morceau. De bébés qui pleurent et grandissent. Et qui en apprendront plus que nous n’en saurons jamais… Plutôt qu’apprendre, j’espère que les enfants se souviendront…n’oublierons pas…que s’il est aisé de détruire, rebâtir est parfois impossible…
Le râle mélancolique reprit.
- Cette chanson, elle dit aussi qu’en regardant les étoiles, on se réveillera un jour loin derrière les nuages, au-delà de l’arc-en-ciel, et que nos ennuis s’envoleront. Moi, avec toute cette poussière, il y a des années que je n’ai plus vu les étoiles. Mais je regarde quand même ce ciel marron, en attendant le moment ou j’y serai, moi aussi, tout là-haut. Comme dans la chanson…
Fubarro replongea, d’un geste lent, son Hohner Band Marine dans sa boîte de cuir patiné. Puis s’enfonça dans les yeux de la rousse.
- Je l’avait oublié cette chanson…C’est quand tu es passée devant moi qu’elle m’est revenu, je ne sais pas pourquoi. Peut-être cette couleur dans tes cheveux…
Un mouvement de mâchoire, une crispation des joues découvrirent des dents usées. Depuis le temps que Fubarro n’avait pas souri, le mouvement n’était plus inné.
- Héhé, faut que je ferme mon claque-merde, moi, tu vas croire que je te fais du gringue !